Notre ordre s’en verrait tout entier menacé, écrivait Alain dans Les Dieux, dès l’instant où nous accepterions l’idée que l’animal nous voit. « C’est aux travaux sur la bête que l’homme apprend à ne pas penser. Il se détourne ; et il y a du fanatisme dans ce mouvement. L’animal ne peut être un ami, ni même un ennemi ; n’en parlons plus, parlons d’autre chose, ou parlons sans penser. » En la matière, le philosophe ne s’était pas trompé. De regards et de pensées, il est question ici à la faveur de trois rencontres : un ours, un crocodile et un loup. Et celles-ci de tracer l’esquisse d’une autre relation à autrui — politique et poétique. ☰ Par Roméo Bondon
BALLAST | Animaux : face à face
Il s’agirait d’un loup et d’un renard qui défendent leur amour épée en main ; d’un lapin, carotte sous la moustache, assis sur la croupe du cheval de l’un ou bien sur celle de l’autre ; d’une mouette rieuse mais dépressive et d’un chat fou ; de sangliers qui finissent toujours les côtes à l’air sur la table d’un banquet : tous animaux de bandes dessinées1 — malins seraient ceux qui les reconnaîtraient sans erreur. Mais là n’est pas l’enjeu. Chacun de ces animaux est ou a été sauvage, domestique, nuisible, de trait et de course, invasif ou en danger, gibier, proie, prédateur. Ou un peu de tout cela. À travers les traits qu’on a bien souhaité leur donner, c’est une part des représentations que l’on se fait d’eux qui prennent vie dans le dessin.