« Avant de dire la vérité, assure-toi d’avoir un bon cheval ». Comme le rappelle ce proverbe tzigane, l’exil est souvent le compagnon, si ce n’est le corollaire, du courage de dire l’oppression et l’injustice, de nommer le mensonge politique fondamental : l’arbitraire déguisé en légitimité, l’imposture drapée des vieux habits du destin.
Au risque de l’enfermement et de la torture, de l’ostracisation ou de la mort, combien de femmes et d’hommes furent jetés sur les routes de l’Histoire pour avoir rompu le silence, choisi leurs propres mots et les actes qu’ils impliquaient ? C’est sur de telles routes que partit Fady Jomar, journaliste et poète Syrien, après quelques mois passé en 2013 dans les prisons de son pays – le régime Al-Assad n’appréciait pas tellement ses tribunes radiophoniques. Damas, Istanbul, l’Europe. Partir, c’était échapper au sort que l’Etat réservait à ceux qu’il ne peut soumettre par la peur. C’était aussi éviter de subir les tourments d’un de ces illustres prédécesseurs, le célèbre prosateur Abdallah Ibn al-Muqaffa, tombé en disgrâce au VIIIe siècle sous le califat Abbasside, et mort supplicié. Ibn al-Muqaffa est entre autres le « traducteur » du Pañchatantra[1] indien, un livre composé de fables animalières à l’usage des puissants. Cet ancêtre des miroirs aux princes[2], Ibn al-Muqaffa ne s’est pas contenté de le traduire à partir d’une autre traduction perse du VIe siècle : y ajoutant un prologue et de nouvelles histoires, en supprimant d’autres, il l’a réécrite dans sa langue d’adoption, l’arabe[3]. Kalîla wa Dimna a traversé les siècles, et est aujourd’hui considéré comme la première grande œuvre de littérature arabe en prose - ironie de l’histoire, elle fût l’œuvre d’un Perse.